AAPEL
Interview de M. Robin DAY accordée le 16 novembre 2002

Descriptif  diagnostic
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Q: Pourriez-vous tout d'abord nous parler un peu de vous, de votre travail dans le domaine de la santé mentale et de votre expérience éventuelle dans le traitement de cette maladie ou de la recherche fondamentale ?
J'ai commencé à soigner le BPD dans une maison de quartier de santé mentale il y a 7 ans, 3 mois après avoir obtenu mon diplome universitaire. [Aux USA, les personnes sans ressource vont dans des centres publics de santé mentale. La très grande majorité des patients de ces centres publics de santé mentale ont soit des troubles de la personnalité, soit des maladies psychotiques commme la schizophrénie.] La plupart des programmes en maitrise n'enseignent strictement rien sur le BPD à l'exception du fait que les thérapeutes devraient "attacher leur ceinture." Aucun changement ou amélioration ne doit être attendu. Sans surprise, je n'ai pas vu beaucoup de changements ou d'amélioration dans les patients que j'ai traité.

J'ai découvert l'existence de la thérapie comportementale dialectique (Dialectical Behavioral Therapy [visit www.behavioraltech.com]) il y a 3 ans alors que j'étais employé dans un programme de traitement de service de jour dans un établissement public. J'ai commencé à aquérir les compétence sur le DBT. Je pratique à titre privé et maintenant quasi exclusivement le DBT depuis presque 3 ans. Il y a deux mois j'ai quitté mon emploi pour m'y consacrer à plein temps.

En quelques mots très simples (pour le public  pas le DSM)
Q: "Qu'est-ce que le trouble de la personnalité Borderline ou Etat limite ?"
Si vous avez le BPD, vous avez un problème avec l'intensité de vos émotions. C'est comme si vous êtes sur le siège arrière de la voiture et que vos émotions conduisent.

Q: Qu'est-ce qui le différencie des autres maladies et troubles de la personnalité ?
J'ai seulement l'expérience de travail avec des maladies mentales graves et durables (severe persistent mental illnesses - SPMI’s). Je pense que les personnes avec SPMI’s tombe dans une des deux "pools."

Les troubles psychotiques ou sur base biologique englobent des maladies comme la schizophrénie, les troubles obsessionnels compulsifs, le trouble bipolaire non sévere, les depressions, les troubles schizoaffectifs non severes. (Par"non servere" je veux dire que la personnes n'a pas réellement un trouble de la personnalité borderline qui crée alors le symptome de trouble de l'humeur!) Les soins psychiatriques et la médication sont la base du rétablissement pour les personnes avec ces maladies. Réadaptation sociale, entrainement à la réduction du stress, etc. peuvent aussi être très utiles pour améliorer leur qualité de vie. La cause de ces maladies est seulement biologique. Finalement, la plupart de ces malheureuses victimes ne seront pas en mesure de revenir à leur niveau de fonctionnement précédent la maladie.

L'autre pool inclue le BPD et les maladies qui sont dérivées du BPD comme les troubles de la personnalité et trauma durant l'enfance. Les maladies de ce pool incluent: BPD; le trouble de la personnalité histrionic et dependante; parfois la depression; le trouble bi-polaire, et schizoaffectif; troubles dissociatifs incluant trouble de l'identité dissociative; trouble de stress post traumatic ... (voir texte original en anglais). Bien que les médicaments soient souvent nécessaires, ils fonctionnent moins bien qu'avec l'autre "pool" de maladies. La clef du rétablisssement passe par la thérapie. Bien que cela prenne beaucoup d'efforts et de la chance pour trouver le thérapeute adéquate, le rétablissement est possible. Ces personnes peuvent obtenir un plus grand niveau de fonctionnement. Les maladies ne sont pas leur nature.

Q: Beaucoup de specialistes suggerent que le coté “enfant” de l'adulte borderline est incontournable de la maladie ?
(pensee noir et blanc, tout bon, tout mauvais, aucun juste milieu...)
Non. J'ai des patients qui ne semblent pas "enfantins"

Q: De même que les colères inappropriées ?
Non. Parfois l'angoisse ou le désespoir sont plus incontrolables que la rage

Q: Comment être sur que c'est bien un trouble borderline et pas une autre maladie mentale ?
- pas une dépression
Rechercher un long passé de médicaments sans effet
- pas un trouble bipolaire
Rechercher un long passé de médicament sans effet mais aussi les cycles de manie et de depression vraiment courts—disons quelques jours ou moins ?
- pas un trouble de déficit d'attention
ADD ne rentre pas dans mon domaine de connaissance. Néanmoins, ADD peut contribuer au développement du BPD, ainsi il peut y avoir beaucoup de chevauchements
- pas un syndrome d'asperger (autisme “performant”)
Et bien, vraiment pas de mon domaine
...

Q: L’imagerie médicale peut-elle permettre de détecter une anomalie pour cette maladie?
(question non posée)

Lorsque l'on est dans l'entourage d'une personne potentiellement borderline.
Q: Quels sont les comportements qui doivent nous alerter et nous dire:
 "la c'est quand même pas normal, il faudrait qu'il ou elle consulte"
N'importe quoi qui semble "dingue" Comportements impulsifs, relations intenses, etc.

Q: A quel age peut-on commencer à voir les signes de la maladie et s'en préoccuper ?
Je ne sais pas. Je n'ai pas beaucoup d'expérience avec les enfants

Les personnes qui ont ce trouble en "ont l'habitude", elles "vivent avec" depuis toujours et c'est "leur nature".
Q: pourquoi dans ce cas ne pas "les laisser tranquille" et les laisser continuer à vivre leur vie plutot que chercher à les soigner ?
C'est douloureux comme l'enfer. C'est pourquoi tant de patients sont suicidaires. (Bien sur, si quelqu'un avec une maladie mentale refuse le traitement; c'est son choix)

Justement à propos de cette maladie
Q: "peut-on en guérir ?"
Les recherches montrent que la Thérapie Comportementale Dialectique (Dialectical Behavioral Therapy [visit www.behavioraltech.com]) diminue les symptomes du BPD.
Une guérison totale ?—C'est une bonne question.

Traitement:
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Q: Le recours aux médicaments (au moins durant un temps) est-il indispensable ou une simple thérapie peut suffire ?
Un petit nombre de mes patients ne sont pas sous medication car ils ont choisi de ne pas subir les effets secondaires. Je ne les pousse pas à en prendre car ils ne sont pas activement suicidaires. Je pense qu'ils auraient de meilleurs moments s'ils prenaient des médicaments.

Q: même question mais que la médication sans la thérapie
Bien sur. Ils n'iront pas mieux grace aux médicament, mais cela rendra leur vie plus supportable

Q: cela signifie t'il que seul un médecin psychiatre thérapeute est à même de guérir un patient borderline et pas uniquement un thérapeuthe non médecin ?
Probablement. Mais les médicaments, les groupes "12-step" (Al-anon, Overeaters Anonymous, etc.), et peut-etre d'autres groupes d'entraide peut rendre la vie meilleure pour des personnes avec BPD.

Q: Les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (5-OH-tryptamine) sont-ils efficaces dans le traitement de cette maladie ? (de nombreux patients parlent de celui-ci comme d'une drogue miracle)
(question non posée)

Q: Certaines molécules sont-elles plus efficaces que d’autres et qu’est-ce qui les différencie?
FLUOXETINE, PAROXETINE CHLORHYDRATE, CITALOPRAM BROMHYDRATE, FLUVOXAMINE MALEATE, SERTRALINE CHLORHYDRATE
(question non posée)

Existence “réelle” de la maladie
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Q: Le terme “Borderline” ou “Etat limite” est-il adapté, cela sous-entend “pas vraiment”?
Le Dr. Marsha Linehan, qui a développé le traitement DBT, suggere le label "Trouble de Dérégulation Emotionnelle" ("Emotional Dysregulation Disorder." )

D’ailleurs certaines personnes, et même des psychiatres affirment que "nous sommes tous borderline", qu'en clair cette maladie n'existe pas
Q: quelle est votre opinion à ce sujet ?
Chacun d'entre nous a des moments d'intensité émotionnelle. J'ai moi-même des moments d'intensité emotionnelle le matin si j'ai dormi la nuit précédente moins de 6 heures et que le café n'est pas facilement disponible. Toutefois les personnes avec BPD ont largement plus d'intensités emotionnelles que les personnes moyennes.

Au regard de ma question précédente, je répondrais non mais je pose la question
Q: N'importe quel psychiatre dispose t’il de la formation et de l'expérience pour soigner un patient borderline ?
Non, Non, Par tous les diables, Non.

Q: Pensez-vous qu'il y ait carences en ce domaine à l'heure actuelle en France ?
Voulez-vous dire que plus de formation et d'éducation sont nécessaires pour les professionnels de santé mentale ? Oui.

D'ailleurs, en France, la maladie mentale est encore plus tabou que le cancer il y a quelques années
Dans l'esprit, quiconque va consulter un psychiatre est "un fou"
Q: qu'avez-vous à dire à ce sujet ?
Pas si différent ici aux USA.

A ce sujet on associe souvent la notion de guérison à celle de la volonté
"Tu veux bien arrêter de te regarder le nombril et te prendre en charge !"
une espèce de "si tu veux, tu peux"
Q: quelle est votre opinion ?
Mes patients avec BPD sont plutot sympathiques avec beaucoup de souffrance. S'ils pouvaient penser se débarrasser du mal par la pensée, ils l'auraient fait depuis longtemps.

Q: Que pensez-vous donc de l'idée de la création de l'association AAPEL pour aider à faire connaître cette maladie auprès du public et aider les malades ?
Bonne. Certaines personnes qui m'ont contacté ont entendu parler de leur maladie et qu'il y a de l'espoir parce qu'ils en avaient brievement entendu parler par un professionnel de santé mentale et qui ensuite se sont renseignés sur internet.

Q: Quel est votre point de vue sur la notion éthique "d'obligation de diagnostic" (je dis bien diagnostic et non soin) sachant qu'il existe en France et dans le monde des milliers de malades Borderline qui ne savent même pas qu'ils le sont, qui pensent que c'est leur "nature" de souffrir
Il est bon de laisser les gens savoir quelle maladie ils ont ou pourraient avoir. Aux USA, néanmoins, les compagnies d'assurance ne remboursent pas les traitements pour le BPD. Ainsi, il est très important de ne pas trop s'étendre sur le papier.

(Dans le cas où vous penseriez que ce n'est pas une bonne  idée)
Q: Ne pensez-vous pas qu'il existe alors un risque important pour les patients borderline de penser:
"Je souffre, je sais mais je suis la seule comme cela, c'est ma nature" et non de se dire "je ne suis pas seule dans ce cas, je suis seulement malade" ?
(question non posée)

Question sans réponse je suppose
Q: "comment convaincre un malade de consulter un spécialiste ?"
Parler de l'intensité emotionnelle. Les personnes avec BPD ont l'habitude d'être critiquées pour leur comportements. Reconnaitre à haute voix que leur propre expérience est pleine d'émotions incontrolables semble leur fournir de l'espoir. Recommander quelques bon sites web. C'est tout ce que nous pouvons faire je pense.

“La campagne de dénigrement”. Le fait que le malade accuse le non-malade celui “qui a vu” d'être lui-même un malade
Q: est-ce une donnée commune ?
Je ne comprends pas cette question (il est vrai, à l'origine , mal posée en anglais)

Q: comment réagir face à cela ?
?

Le borderline semble avoir un esprit émotionnel d'enfant
Q: Est-il "raisonnable" de demander à un "pseudo enfant" de prendre une telle décision ?
(consulter ou pas, se soigner ou pas)
Ils peuvent avoir un quotient emotionnel bas, mais ils sont quand même des adultes. Essayer de forcer quelqu'un avec le BPD à se traiter ne fonctionne jamais.

Q: Cela n'est-il pas totalement utopique d’attendre qu’il se prenne seul en charge et même cruel ?
Voir ci dessus

Q: Quelle est votre expérience à ce sujet ?
Comment les malades viennent à vous ?
D'autres thérapeutes m'envoient des patients parce que j'ai beaucoup communiqué sur la maladie. Certains me trouvent sur  internet.

Origine de la maladie
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L'origine de la maladie semble être très complexe dans le cadre du trouble borderline, mais il ressortirait que des traumatismes durant l'enfance sont à l'origine de celle-ci
Q: Qu'en pensez-vous ?
Je pense que la maladie débute à un très jeune age, mais pas nécessairement à cause d'un traumatisme (physique et abus sexuel). Les facteurs qui contribuent sont

Q: Des crises d’épilepsie durant l’enfance peuvent-elles selon vous provoquer la maladie comme le pense certains chercheurs?
(question non posée)

Q: Inversement la maladie peut-elle provoquer des crises d’épilepsie?
(question non posée)

Q: Cette maladie aurait de plus des origines génétiques et bio-chimiques, qu’en pensez-vous?
(question non posée)

La famille peut être d'une grande aide pour soutenir tout malade.
Mais dans le cas où un des parents a une part de "responsabilité" (non consciente) dans la maladie de son propre enfant,
Q : Comment peut-il être “envisageable” pour ce parent d'ouvrir les yeux sur la réalité de la situation ?
Je ne fais pas de thérapie familiale avec mes patients adultes. Mes seuls patients adolescents ont des parents qui sont reellement irresponsables. Je ne parlerais pas de la façon dont les parents contribuent à la maladie même si c'est clairement la vérité. Quel est le point? Le patient doit aller mieux pour se sentir mieux, pas les parents.

Il semblerait que la maladie mentale en général se transmette de parents à enfant comme un enfant d'un père alcoolique deviendrait lui-même alcoolique à l'age adulte
Q: Qu'en est-il selon vous ?
Il semblerait

Q: Cela en est-il de même dans le trouble borderline ?
La mère borderline va t'elle rendre sa fille borderline, qui elle-même devenue adulte rendra borderline ses propres enfants ?
Le risque est élevé

Q: Comment briser ce cycle infernal ?
Rendre les bons traitements disponibles pour les personnes BPD

Dernières questions
Q: Quelle question auriez-vous voulu que je vous pose et que je n'ai pas posé ?
Non

Q:Le mot de la fin doit-il être "espoir" ?
Les personnes avec un trouble BPD peuvent se sentir mieux si elle peuvent être prises en main et disposer des traitements efficaces

Merci de votre collaboration et de votre soutien

Réponses gracieusement fournies par M Robin Day LPC, thérapeute - Atlanta

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